.

.
L’aube sucre d’orge verse son pleur sur les derniers morceaux de nuit :
— Suspendez le temps, le petit chaperon rouge-gorge est mort !
Le doigt sur la bouche, elle ordonne le silence en hommage, les rumeurs du jour attendront.
L’écharpe autour du cou, l’aube patauge dans les dernières flaques de la nuit ; son sanglot nous raconte l’histoire :
— Pauvre petit chaperon rouge à la gorge, qu’allais-tu faire dans la forêt qui prolonge la nuit ?
— Je porte un iPod à grand-mère, couleur beurre frais.
— La nuit m’a dit que tu sautillais d’un pas léger, ton Y autour du cou. As-tu entendu la brigade des loups ?
— Non, j’écoute un nocturne. La brigade aux yeux rouges avance à pas de loups.
— La brigade des loups a t-elle demandé où tu allais ?
— Oui, je vais chez grand-mère porter un iPod beurre frais.
— La brigade des loups a t-elle demandé quel était ton chemin ?
— Oui, c’est le chemin doux des coquelicots des bois, ceux qui rougissent la nuit et meurent au soleil.
— La brigade des loups a-t-elle pris le chemin des aiguilles ?
— Oui, c’est le chemin court qui coupe au rasoir, celui qui meurtrit les chevilles et lacère le visage.
L’aube voit poindre le jour et son pleur tambourine l’espace :
— Naïf petit chaperon à la gorge déployée, as-tu tiré la bobinette ?
— J’ai tiré la bobinette et la chevillette a chu.
— La brigade des loups avait-elle des oreilles ?
— De grandes oreilles pour entendre l’iPod au message secret.
— La brigade des loups avait-elle des yeux ?
— De grands yeux rouges tout baignés de menaces.
— La brigade des loups avait-elle des jambes ?
— Longues comme le sont les escadrons de la mort.
— La brigade des loups avait-elle des dents ?
— Je crois que ce sont là des baïonnettes, celles qui percent et qui tranchent ma gorge.
L’aube sucre d’orge fond au premier soleil blanc, au premier chant du coq ; son pleur sèche sur les toits de la ville.
Sur les écrans, la vie numérique reprend son cours.
Loin dans la forêt, le chaperon de chair rouge fané gît sur le chemin doux, les coquelicots des bois se referment.
.

Poème écrit aux alentours de 2009 et primé par le collectif d’artistes La Maison Bleue (Asile au bout du Zinc) qui avait lancé un appel à textes sur le thème de l’aube.
Jin Roh, la brigade des loups est un film d’animation japonais. Au milieu d’une intrigue assez dense, cet anime revisite le conte du petit chaperon rouge.
Photo : Lili Mowgli prise par Fabienne Chemin dans le cadre du projet « Au printemps je suis vivante ».
Nota : Un de mes textes préférés. A mes yeux, un petit bijou.