Derrière la porte

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Connaissez-vous Lubin ?
Non, bien sûr.


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Pauvre Lubin, ce n’est pas ton nom que la chanson a retenu. Elle n’en a que pour Pierrot au clair de sa lune.
Pourtant, Pierrot n’est pas un type recommandable et ce n’est certainement pas auprès de lui qu’il faut crier famine ou demander du feu pour l’amour de Dieu.

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Au clair de la lune, Pierrot est absent

Laissez-moi vous raconter ce qui se cache derrière la porte de cette chanson que chaque Français connaitrait sans même avoir à l’apprendre. Une chanson qui trainerait quelque part dans notre cerveau limbique depuis notre naissance, miracle supposé de la mémétique.
Pourtant, si on savait ce que raconte vraiment cette chanson…
voici l’histoire derrière l’histoire
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“Au clair de la lune,
Mon ami Pierrot,
Prête-moi ta plume,
Pour écrire un mot.
Ma chandelle est morte,
Je n´ai plus de feu,
Ouvre-moi ta porte,
Pour l´amour de Dieu.“

Oh, mais je te vois à travers l’oeilleton, Lubin. Tes parents te l’ont pourtant dit et répété cent fois, Lubin, tu ne dois pas sortir les nuits de pleine lune, encore moins les soirs d’Halloween. 
Mais qu’est-ce que tu as donc dans le crâne, petit garnement !?
Tu n’écoutes rien. Tu n’écoutes jamais rien, Lubin, après, va t’étonner qu’il arrive des drames !
Je ne suis pas ton ami, tu m’entends, je n’ai jamais été ton ami.
Je sais que, dans mon dos, tu m’appelles Pierrot le nigaud, comme tout le monde.
Je n’ai ni plume, ni cahier.
Mais, j’ai des couteaux et des rasoirs pour écrire des mots en lettres de sang sur papier de chair fraiche.
Entre et tu les verras de près.
Pour l’amour de qui, tu dis ?
De Dieu ?
Dieu, je l’ai saigné le mois dernier. Je l’ai écorché « pour l’ensemble de ton oeuvre », je lui ai dit. 
J’ai pas pu lui bouffer le cerveau, il en avait pas.
Je lui ai bouffé les viscères, ça oui, et j’ai gardé son foie. 
Oui, j’ai foie en Dieu…. 
Je te regarde à travers l’oeilleton, Lubin, oui. Heureusement, tu m’entends pas. Tu comprendrais pas mon humour, tu es trop jeune.
Tu aimerais peut-être que je te dise, d’une voix chevrotante : “Tire la chevillette et la bobinette cherra !“.
C’est impossible, plus de bobinette, ma porte est blindée, il faut vivre avec son temps. Entre nous, l’époque est bien triste, j’en ai connu de plus joyeuses.
Tu l’entends ce doux bruit ?
Je suis bête, tu peux pas l’entendre.
C’est mon tranchoir qui crisse sur ma porte. Crrr, crrr, crrr. Je l’affûte. Non, non, pas mon tranchoir. J’affûte la porte. C’est avec elle que je cisaille en deux les inconscients de ton espèce qui viennent frapper. Avant qu’ils s’en aperçoivent, à la vitesse d’un battement du cil d’un d’oeil déjà perdu, zifff, ils sont tranchés en deux, ils n’ont plus de feu. Comme ta chandelle. Il faut voir ces regards qui brillent encore un dernier instant alors qu’il n’y a plus de vie pour les animer.
Suprême jouissance.

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“Au clair de la lune
Pierrot répondit :
Je n´ai pas de plume,
Je suis dans mon lit.
Va chez la voisine,
Je crois qu´elle y est,
Car dans sa cuisine
On bat le briquet.“

Je te vois à travers l’oeilleton, Lubin. Tu es toujours là. Tu crois que je suis l’aimable voisin que tu croises tous les jours. 
Non, ce soir de pleine lune, je ne suis plus Pierrot le nigaud, je redeviens Pierrot le fou, l’éternel. Ce soir béni, je découpe, je tranche, je lacère, j’étripe, j’égorge, j’écorche. Je te regarde, mon petit Lubin, mon petit lapin, et je bave d’envie, crois-le bien, mais pour ce soir, j’ai trop de boulot, j’ai déjà un plat aux petits oignons. 
Cervelles légères d’étourdis et têtes de linottes. Un régal.
Me vient un idée.
Ma voisine.
Vite le portable. On n’est pas des bêtes, on sait vivre avec son temps. Entre nous, triste époque.
— Allo, Suzette ?
— Bonsoir Pierrot, qu’est-ce qui me vaut le plaisir ?
— Te reste-t-il de la place pour un petit Lubin très imprudent ?
Nous partons d’un grand rire tous les deux car on se comprend vite et bien Suzette et moi. Nous avons un rire que les humains disent sardonique. Ça fait à peu près ça : « Ha, Ha, Ha, Ha, Ha !». 
En lettres de sang sur papier de chair fraîche, ça rend mieux. 
A l’autre bout du téléphone, je sens Suzette qui glousse de plaisir. 
— Il peut pas mieux tomber, je fais maigre ce soir, c’est pitié. Pour le remercier, je vais m’en servir pour étrenner une nouvelle recette.
— Une recette de crêpes, Suzette ?
Elle rit.
— Non, je vais en faire une sucette !
— Ah ? Raconte, raconte !
— D’abord, tu te saisis du petit chéri et tu le renverses, tête en bas, pieds en l’air. Et tu le sabres comme une bouteille de champagne. D’un coup de tranchoir, de couteau, de rasoir, à toi de voir. Tu récupères dans un chaudron de cuivre la tête qui choit, et tu le remplis du sang qui gicle des jugulaires. Tiens bien le corps, il se peut qu’il gigote encore comme un canard, et tu perdrais du sang. S’il tombe pas dans le chaudron, il est foutu.
Quand c’est fini, tu réserves le corps que tu peux accommoder à part.
Moi, j’en ferai un petit en-cas pour ce soir.
Après trois jours de court-bouillon dans son jus à cuisson très lente, le cuir chevelu devient très tendre et tu le scalperas facilement. Tu fais confire le crâne dans le chaudron après en avoir ouvert le sommet. C’est long, il faut être méticuleux. Moi, je suis les recommandations du grimoire « Mes confiseries pour têtes brûlées ». Si tu t’y prends bien, tout le tour du crâne se couvre d’un glaçage sucré absolument divin. Pour finir, tu embroches sur une perche. J’utilise un fémur. Tu suces ça les soirs de grosse déprime, tu manges l’intérieur à la petite cuillère, effet garanti !
— Hum, appétissant. Je viendrai volontiers sucer ta sucette, Suzette !
Elle roucoule.

Cervelles légères d’étourdis et têtes de linottes

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“Au clair de la lune
L´aimable Lubin
Frappe chez la brune.
Elle répond soudain,
Qui frappe de la sorte?
Il dit à son tour :
Ouvrez-moi la porte
Pour le Dieu d’amour.“

— Entre mon petit Lubin, entre ! Que me veux-tu ?
— Bonsoir madame Suzette, je voudrais une plume et un peu de feu pour écrire un mot, par le Dieu d’amour.
— Mais oui, tout à fait, bien sûr, mon petit Lubin. 
Et clac, la porte se referme sur le destin à Lubin.

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“Au clair de la lune,
On n´y voit qu´un peu.
On chercha la plume,
On chercha le feu.
En cherchant d´la sorte
Je n´sais c´qu´on trouva,
Mais j´sais que la porte,
Sur eux se ferma“

Tu veux la suite ?
Moi, je sais ce qu’il a trouvé, le petit Lubin.
Je sais ce qui s’est passé derrière la porte.
Je le sais parce que j’y ai goûté à la sucette, et elle était bonne, bonne !
Je le sais parce qu’on a Zoom, je l’ai dit, on n’est pas des bêtes, on sait vivre avec son temps qui, entre nous soit dit, est bien pauvre.
C’est qu’il a galopé le petit Lubin dans l’unique pièce à Suzette. C’est qu’il a vite compris ce qui l’attendait et qu’il avait la vie chevillée au corps, le petit chéri. Une énergie folle, c’est elle qui a donné tout son goût à la sucette. Je crois bien que Suzette a fait exprès.
Une énergie vitale qui vous rebooste les soirs de déprime, c’est vrai. C’est qu’ils sont nombreux les soirs de blues, on nous reconnaît pas à notre juste valeur, on est victime d’ogrophobie.
J’ai vu les pieds de Lubin gigoter quand Suzette lui a mis la tête en bas et l’a sabré. Je les ai vus gigoter ensemble, puis alternativement, puis plus faiblement, puis encore plus faiblement, puis j’ai vu tout devenir mou.

Quel goût cette sucette !
Suzette, c’est une experte.
A ce niveau, c’est de l’art.

Laisse mijoter trois jours dans un chaudron

Premier jet écrit en 2019 pour un concours organisé par le site Short Edition.
Revu, corrigé et augmenté pour mon blog.
Crédit photos : clair de lune extrait d’un tumblr inconnu.
Les deux très beaux gifs sont tirés du tumblr butteryplanet.


Pour vous aider à digérer ce texte d’ogres gores, relaxez-vous en écoutant le Clair de lune de Debussy.

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