France 24 et France Culture font en ce moment la promotion d’une exposition parisienne qui parait très belle, mais que je n’irai certainement pas voir.
L’artiste, Alia Ali, propose un très beau travail à partir de photos de modèles humains empaquetés à la christo. Les corps disparaissent entièrement sous des tissus bariolés et sont posés sur un fond coloré qui joue le prolongement ou la rupture avec le premier plan. Le plus souvent, les modèles se fondent dans le décor qui les entoure et, parfois, je crois que le mot amour, en arabe, est incrusté. L’exposition s’appelle Love, je ne comprends pas pourquoi ; elle est bâtie autour de la langue, et là encore, je ne sais pas pourquoi.
Je n’irai pas voir cette exposition pour deux types de raisons, les premières tournant autour de la présentation de l’artiste par FC, les seconde tournant autour de la gêne que je ressens face à sa proposition.
Tout d’abord, France Culture, dans sa rubrique Culture Artiviste que tu peux découvrir ci-dessous, façonne Alia Ali à l’image du migrant, cette figure christique des temps modernes : une identité éclatée, un ballotement entre deux pays violentés, du multilinguisme, un zeste de stigmatisation à son arrivée aux USA, son pays d’accueil, une pincée de recherche de ses racines forcément refoulées, bref, tous les ingrédients du paquetage de l’itinérance tellement vantée de nos jours : Le migrant, le réfugié, l’exilé, l’immigré, celui qui bouge, celui qui souffre, celui qui renouvellera notre sang de sédentaires repus ; je le répète, une véritable figure christique rédemptrice !
Il y a aussi dans cette présentation, les mots qui sont nécessaires pour créer la légitimité du choix artistique de cette dame, légitimité qu’on est invitée à ne plus interroger : le défi face au regard du colonisateur, une allusion à la non-binarité sexuelle libératrice, la stigmatisation subie, la dédicace aux migrants qu’on brutalise puisqu’on veut les assimiler, la référence à l’histoire coloniale, et même une allusion à l’industrie de l’armement !
De mon point de vue, en cinq petites minutes, FC réussit le tour de force de nous faire un concentré de tous les poncifs culturellement corrects pour passer la censure d’aujourd’hui afin d’être exposé.
Ensuite, je peux comprendre le parti-pris de l’artiste autour de l’éloge du textile dont elle recouvre tous les corps photographiés, elle en parle très bien, mais je me placerai volontiers en miroir de sa narration :
Comme elle, on peut éventuellement dire que l’histoire du textile, c’est l’histoire de l’Humanité — cela dit, en tirant vraiment très, très fort sur les bords du tissu ! —, mais je voudrais ajouter qu’on peut affirmer que l’histoire de l’Humanité, c’est aussi l’histoire de la sortie du textile. Je pense ici à ces dizaines et dizaines de générations de femmes qui ont disparu sous du textile dans la sphère civilisationnelle islamique et qui n’ont jamais eu la possibilité de s’extraire de cette gangue.
Je pense aussi aux femmes afghanes qui n’auront pas le droit au textile si fun et si bariolé qu’on nous présente dans cette exposition.
Ça en est presque indécent, et la seule excuse que je trouve à la galerie qui expose, c’est qu’elle n’a certainement pas prévu qu’il y aurait un tel télescopage entre l’actualité et l’exposition !
Le point de départ de ma réflexion, en date du 15 septembre 2021