
Je n’ai pas pu voir la cérémonie d’ouverture des JO en direct. Je l’ai donc regardée en deux fois, le lendemain et le surlendemain, et j’ai ainsi pu l’analyser comme un citoyen mis à l’abri de l’émotion de l’instant, à l’abri de la communion qui s’installe automatiquement au cours d’un spectacle partagé avec ses pairs.
J’ai vu un spectacle à couper le souffle, d’une créativité folle, créativité qui m’interroge toujours sur la capacité de l’être humain à renouveler les codes du beau. Une cérémonie étrangement magnifiée par la pluie qu’on pourrait interpréter comme un clin d’oeil de la déesse Sequana qui prolongeait dans l’espace aérien, sa fille, la Seine.
De tout ce spectacle, qu’est-ce que ma sensibilité esthétique a retenu, nourrissant mon émotion artistique ?
– Tout d’abord, une belle continuité entre les tableaux (bravo pour la graphie des titres et le choix des mots). Un fil conducteur intelligemment personnalisé dans un mystérieux porteur de flamme qui volait sur les beaux toits de Paris et s’infiltrait dans les monuments.
– J’ai vu une scène d’une magie rare lorsque ce porteur de flamme s’est mis à chevaucher la Seine, léger comme un souffle de vent, donnant au fleuve toute l’importance centrale qui était le parti pris de Thomas Jolly. L’air, le vent, la pluie, l’eau, l’argent, la lumière, la Seine, tout était à sa place.
– J’ai été scotché par l’originalité des costumes, notamment par ceux portés par les trois acteurs de la BNF (je crois), aux couleurs LGBT revisitées, ainsi que ceux portés par les danseurs pendus « à la lanterne » et qui flottaient au gré du vent.
– Et bien sûr, j’ai été pris par la débauche des costumes débridés, utilisés lors de la scène qui, parait-il, ne serait pas une parodie de la Cène sur la Seine.
– J’ai vu une succession de bateaux mouches, dont le seul nom respire la poésie, donner vie à la présentation des athlètes. C’était une parade de joyaux.
– J’ai été sensible à l’hommage rendu à dix femmes qui le méritaient.
– Les portraits du Louvre en partie immergés dans l’eau du fleuve ont habillé les bords de Seine.
– Les derniers porteurs de flammes, je veux dire ceux qu’on a vu à partir de Zidane, inclus, sur l’estrade, ont été bien choisis et chacun a été mis en valeur, que ce soit à titre personnel ou bien par grappes. Tous se sont trouvés grandis par le cadre et l’occasion.
– Merci aux organisateurs d’avoir choisi Marie-José Pérec comme dernière relayeuse.
– J’ai même apprécié l’apparition des Minions qui rappellent que le cinéma français sait aller au-delà d’un cinéma ennuyeux à en mourir.
– Enfin, je l’avoue, je le confesse, j’ai dû retenir mes larmes — parce que je suis un qui pleure pas — lors de l’interprétation de l’hymne à l’amour, ce qui est un tour de force vu que je n’aime ni Edith Piaf, ni Céline Dion ni l’hymne à l’amour, et cela fait de moi un très mauvais Français.
Mais voilà, une cérémonie d’ouverture des JO n’est pas un spectacle seulement, c’est aussi l’envie de montrer les valeurs portées par une culture. Et à ce sujet, j’ai eu des petites remontées gastriques qui m’ont dérangé en tant que citoyen non Parisien, en tant que citoyen qui constate depuis très longtemps déjà qu’il existe une élite culturelle qui vit dans l’entre-soi, dans des codes plus internationaux que franchouillards. Et je le regrette, je le regrette d’autant plus que j’aime Paris presqu’autant que mon pays, et que Paris ne serait rien sans le reste de La France.
Donc.
– Lors de cette cérémonie, La France dans sa diversité n’a pas été invitée, clairement, ce qui est une faute, surtout pour une cérémonie qui se voulait inclusive. Il est vrai que l’inclusion célébrée ici était le type d’inclusion glorifiée par une commune élite internationale qui plane au-delà des nations. Ce n’est pas l’inclusion à l’échelle locale et nationale qui verrait Paris inviter, entre autres, le reste de la France dans un esprit de réconciliation tant il est vrai que les différences de sensibilités électorales entre Paris et les régions montrent de grandes fractures.
– Non, Paris n’est pas la ville de l’amour. Le dire, comme l’a fait Tony Estanguet lors de son allocution, c’est reprendre un cliché dont cette cérémonie voulait pourtant s’éloigner. Un cliché démenti par l’expérience de nombreux touristes.
– Non, les JO ne sont pas un moment où toutes les religions se côtoient en paix, c’est un temps où les croyances et la non-croyance doivent être reconnues à égalité, au moment où 51% des Français déclarent ne pas croire.
– Je n’ai pas apprécié la complaisance envers un triolisme bisexuel où l’on suppose qu’une blanche va se faire prendre en sandwich par deux mecs, dont l’un est noir et l’autre… (là, je sais pas, j’ai pas réussi à identifier), parce qu’au-delà du fait que les gens font ce qu’ils veulent, cette complaisance est parfaitement contre-productive. Je m’explique.
L’allusion au triolisme fait suite à une très jolie scène à la BNF (je crois) où l’on a mis en avant quelques chefs d’oeuvre de la littérature française. C’était beau, efficace, loin du redondant.
A cause du prolongement logique créé entre lecture et triolisme, tous les conservateurs du monde entier vont pouvoir se donner raison lorsqu’ils pensent qu’une femme ne doit pas lire de romans, sinon elle va faire n’importe quoi. Et puis, c’est un éloge au libertinage que mes concitoyennes vont devoir assumer lorsqu’elles se retrouveront à l’étranger.
– La parenthèse Drag Queen, trans et vogging est à usage parisien, et on comprend bien qu’une certaine élite parigote s’est fait plaisir. Au fond, pourquoi pas, mais c’était vraiment beaucoup trop long et appuyé dans le registre : regardez comme on ose, nous, les Français !
– Dans le même registre très parisien, je trouve que le monde blanc, celui de mes ancêtres qui ont peuplé et formaté mon territoire, ne sert plus que de décor pour un monde multiculturel que j’interroge encore dans sa légitimité, ses contours, son importance, voire son utilité.
Pour reprendre un slogan que j’ai découvert le soir des élections législative, oui, la France est tissu de migrations, mais le métier à tisser est MADE IN FRANCE et je pense qu’il doit le rester ; les fils utilisés sont le bleu de la Liberté, le blanc de l’Égalité, le rouge de la Fraternité ; et la tisserande, l’unique tisserande, c’est Marianne.
– A propos de Marianne, je la vois blanche et elle doit rester éternellement blanche, voire « de marbre », au risque d’affaiblir le symbole si on la colore. Marianne est fille du XVIIIè siècle, fille de la Révolution, fille des Lumières, porteuse d’universalisme et si, dans un spectacle, on l’incarne comme chanteuse qui guide le peuple au nom de la Liberté, elle doit rester blanche et non pas café au lait. Car alors, on entre dans la concurrence des couleurs.
Pourquoi pas noire ?
Pourquoi pas jaune ?
Pourquoi pas rouge ?
Et pourquoi l’appeler encore et toujours Marianne ?
Pour moi, il s’agit là d’un renoncement culturel.
– A propos d’Aya Nakamura, je n’ai rien à dire, je ne regarde pas les séquences interdites aux plus de dix-huit ans, elles sont à usage des adolescents.
Bref.
Au-delà de ces points sur lesquels je ne me retrouve pas en tant que citoyen, je tiens à rappeler que je trouve que cette cérémonie est une réussite, et je vais me transformer en juge forcément partial puisque je suis juge-citoyen, comme d’autres étaient juge-pénitent, et puis, je paie des impôts, moi madame !
– Niveau artistique, j’attribue 9/10 et je plains sincèrement les prochaines villes-hôtes qui vont devoir sérieusement ramer pour arriver au niveau d’un spectacle qui a fichu un sacré coup de vieux à tout ce qui s’est fait jusqu’ici.
– Sur le fond du message délivré, je donne à cette cérémonie un 7/10 et mes remarques négatives ne sont pas là pour juger, condamner, mais pour questionner des évidences.
Conclusion :
– En ces temps de dette galopante, mes impôts ont-ils été bien utilisés ?
Clairement, oui.
– En ces temps de fracture franco-française, la cérémonie aura-t-elle eu un effet de pansement ?
Clairement, non, et par manque de volonté des organisateurs qui, depuis qu’ils sont en charge de l’organisation de cette cérémonie, montrent qu’ils sont hors-sol.
– En ces temps où l’image de La France s’appauvrit et se ternit à l’international , est-ce que cette cérémonie a profité à son soft power ?
Là, je ne sais pas trop et je botterai en touche en disant que ceux qui n’aimaient pas la France avant, ne l’aimeront toujours pas après, et que ceux qui aimaient la France avant vont toujours l’aimer après, malgré quelques coups de provoc qui relèvent d’une France qu’ils connaissent après tout, à savoir une France donneuse de leçons.